Huile de palme pour les vaches: les producteurs laitiers craignent pour leur réputation

Pointés du doigt pour l’utilisation de suppléments lipidiques à base d’huile de palme dans une minorité de productions laitières, certains producteurs de lait craignent pour la réputation de leur secteur. En même temps, une experte du domaine souligne qu’il n’y a pas lieu de croire que cette pratique de longue date a eu une influence sur la qualité du lait récemment.

Même si rien ne prouve que l’utilisation de l’huile de palme comme supplément par certains producteurs laitiers diminue la qualité du lait et du beurre vendus au Québec, des producteurs sont prêts à employer les grands moyens pour sauver leur réputation. Lors de leur assemblée générale annuelle, le 23 février prochain, les Producteurs de lait de l’Estrie devraient présenter à leurs membres une résolution visant à pénaliser financièrement les producteurs qui ont recours à cet ingrédient.  


Les producteurs réagissent à un reportage du Journal de Montréal publié lundi, qui rapporte notamment que certains fromagers craignent de voir la qualité du lait québécois ruinée devant l’utilisation de sous-produits d’huile de palme comme acide palmitique pour assister la vache dans sa lactation. Selon les Producteurs de lait du Québec, environ 22 % auraient recours à ce type de supplément lipidique, mais seulement le quart de ceux-ci l’utiliseraient pour l’ensemble du troupeau. 

« Le fait que le lait de ceux qui en utilisent est dilué à la masse, je trouve ça dommage, parce qu’à cause de quelques agriculteurs, ça nuit à l’ensemble des producteurs de lait, commente Michel Brien, copropriétaire de la Ferme Mylixy de Racine et vice-président de l’UPA-Estrie. Pour moi, qu’on l’utilise de façon permanente ou temporaire, ce n’est pas acceptable. Il n’y a pas d’étude qui dise que ce n’est pas bon, mais dans le doute, je crois qu’on est mieux de s’abstenir. Ça pourrait faire une différence pour une petite fromagerie qui reçoit du lait de peu de producteurs. » 

D’ailleurs, la professeure au département de sciences animales de l’Université Laval et experte en alimentation des ruminants, Rachel Gervais, invite à se méfier des raccourcis possibles en lien avec cet enjeu. Tout d’abord, l’huile de palme est utilisée dans le secteur laitier depuis déjà une trentaine d’années, établit-elle, tout en ajoutant que ce type de supplément est utilisé de manière « ciblée », vu son coût élevé. 

Ce n’est pas vrai que les producteurs se sont mis à utiliser ces suppléments à la tonne dans les derniers mois.

Ensuite, rien ne prouve que le contenu des briques de beurre a changé dans la dernière année, soutient Mme Gervais, ni que ces dernières sont « plus dures », comme le sous-entendraient des citoyens. Et même si c’était le cas, celle-ci souligne qu’il serait bien difficile de jeter le blâme sur les suppléments à l’huile de palme, considérant les outils d’analyse maintenant disponibles dans tout le secteur, comme le PROFILab de l’entité canadienne de recherche, Lactanet. 

« Ça fait longtemps qu’on sait que de modifier la composition en acides gras du lait, ça change les propriétés du beurre ou de la matière grasse laitière. Ça, c’est un fait établi, dit-elle. Par contre, on sait que dans la dernière année, soit depuis qu’on monitore le profil en acides gras de façon plus systématique dans les élevages, il n’y a pas eu de modifications substantielles. Ce n’est pas vrai que les producteurs se sont mis à utiliser ces suppléments à la tonne dans les derniers mois. »

Celle-ci ajoute également que de nombreuses choses peuvent influencer le profil en acides gras du lait. « Il n’y a pas juste l’acide palmitique. Le stade de lactation, les autres ingrédients de la ration... c’est une multitude de facteurs. »

« Et il ne faut pas l’oublier non plus : l’acide palmitique qui est présent dans ces suppléments-là, c’est un acide gras que la glande mammaire de l’animal fabrique, poursuit Mme Gervais. Ce n’est pas une molécule qui n’est pas déjà là dans le lait. C’est l’acide gras principal du lait. »

Michel Brien, copropriétaire de la Ferme Mylixy à Racine et vice-président de l’UPA-Estrie.

Besoins à combler

Y a-t-il des enjeux pour la santé de l’animal à utiliser des suppléments? Au contraire, répond l’experte. 

« Une vache en début de lactation, c’est une athlète olympique. C’est dans ce temps-là que des suppléments lipidiques peuvent être intéressants pour la santé de l’animal et pour répondre à ses besoins énergétiques. De l’huile de palme à proprement parler, est-ce qu’il y a des alternatives? Est-ce qu’il y a d’autres solutions? Sans doute. Il y a plein de données qu’il faut continuer d’aller chercher, ça, j’en conviens. Mais une vache, c’est particulier et son alimentation est très complexe. Ces suppléments-là ont l’avantage de ne pas perturber l’équilibre du rumen tandis qu’il y a des huiles qui pourraient nuire à la santé de l’animal. C’est plus positif que négatif pour sa santé. » 

Mme Gervais fait d’ailleurs partie d’une équipe de recherche qui se penchera, dans les prochains mois, sur la supplémentation lipidique et son impact sur la production, la composition et les propriétés technologiques du lait.  

Impact environnemental 

L’un des enjeux persistants concernerait cependant l’impact environnemental de l’huile de palme. Le porte-parole des Producteurs de lait du Québec, François Dumontier, affirme qu’il ne relève pas de son organisation de faire des recommandations en ce qui concerne l’alimentation des vaches, mais que « les PLQ encouragent toutefois la réduction volontaire de l’utilisation de ces suppléments à cause de leur impact environnemental ». 

C’est d’ailleurs l’une des raisons qui poussent Michel Brien à faire changer les choses, soit dissocier son secteur d’un produit étranger reconnu pour ses dommages sur la biodiversité. C’est lui-même, en tant que producteur, qui a soumis la résolution en question à son association. 

« Je trouvais ça important qu’on règle cette histoire-là une fois pour toutes. Avec les données de Lactanet, on pourrait être en mesure de savoir qui a des surplus de gras à cause de ce supplément-là. Automatiquement, en pénalisant l’utilisation d’un produit comme ça, on ferait cesser son utilisation. Ce ne serait plus rentable pour le producteur. »