Chronique|

Je ne suis pas si courageux

Il est moins risqué de se faire vacciner que d’attraper la COVID-19.

CHRONIQUE / « Tu es courageux! » C’est le commentaire que j’ai reçu le plus souvent depuis que je teste le candidat-vaccin de Medicago, qui est actuellement en phase deux. Mais sérieusement, pas tant.


D’ailleurs depuis que j’ai reçu ma première dose lundi dernier, je vais très bien. Mon rhume s’est résorbé et j’ai été déclaré négatif à la COVID-19 (yé!) Mon bras m’a fait mal 24 heures maximum. Je me sens aussi bien que d’habitude. 

Je continue à prendre des notes toutes les fois où j’ai un mal de tête et où qu'un frisson me passe dans le dos. 

Je n’ai pas de bras qui me pousse dans le front!

Bref, ça va bien.

Revenons à la notion de courage. 

Il faut savoir que ce vaccin a été testé sur des animaux — des souris et des primates – avant d’être injecté à des humains en phase un, il y a environ trois mois. 

« La phase un a été conduite en septembre dans trois centres et comptait environ 60 patients, m’explique le pharmacien et PDG de Q & T Recherche, Pierre Gervais. Comme pour les phases deux et trois, la première chose vérifiée, c’est la sécurité. L’autre chose qu’on regardait, c’était les marqueurs d’efficacité. On n’avait pas assez d’échantillons de patients, même en phase deux avec 600 volontaires, pour dire qu’on évalue l’efficacité. On va la suivre à long terme, mais ce qu’on regarde à court terme, ce sont les marqueurs. » 

J’en comprends donc qu’une soixantaine de volontaires étaient pas mal plus courageux que moi il y a quelques mois à peine!

« Le feu dans la baraque »

Pour ceux qui se le demandent, oui, habituellement, le temps d’analyse est plus long lorsqu’un médicament ou un vaccin est testé. Mais les spécialistes restent rigoureux dans leurs recherches.

« En temps normal, on commence en phase un, on attend que ce soit terminé, ce qui prend huit mois ou un an. On s’assoit, on analyse les résultats, on rencontre Santé Canada, et on nous donne l’autorisation pour la phase deux, ce qui peut prendre trois mois. On la commence ensuite. Elle dure un an et demi. »

Sauf qu’actuellement, 300 000 personnes sont mortes de la COVID aux États-Unis. Et 14 000 au Canada. Puis des centaines de milliers d’humains garderont des séquelles tout au long de leur vie. « Il y a le feu dans la baraque », lance le PDG de Q & T Recherche.

Il faut donc faire vite. Des vies seront sauvées lorsque les vaccins seront administrés à grande échelle.

Les comités d’éthique et les agences réglementaires sont prêts à contracter les règles. « On dit de commencer la phase un, d’amener des évidences de sécurité et d’efficacité avec des marqueurs. On n’attend pas que la phase un soit terminée, on commence la phase deux. Durant ce temps, on finit la phase un. On vient de gagner 8 à 10 mois. On va faire la même chose avec la phase trois. La pression sociale est très grande, il y a des milliers de gens qui meurent. »

Pendant ce temps, moi, volontaire en phase deux, je serai suivi durant un an. L’avantage pour la recherche? C’est que je vis normalement. Cela va permettre aux chercheurs d’accumuler des informations sur les sujets qui vivent dans la vraie vie, et non dans un environnement normalisé.

Une marche à la fois

Beaucoup de gens s’inquiètent de la sécurité du vaccin, comme il a été rapidement développé. Je me suis également posé des questions. Mais les réponses des différents experts ont de quoi rassurer. 

« Actuellement, il n’y a pas d’indicateur de problème, assure le pharmacien en parlant du vaccin de Medicago. Ce qui se passe, c’est que le vaccin est évalué dans la population large, normalisée. On veut les gens d’un certain âge, en bonne santé, selon un certain indice de masse corporelle, sans problèmes cardiaques ou pulmonaires. » 

« Je vous jure, quand je travaille en pharmacie, ce n’est pas ça que j’ai devant moi, témoigne-t-il. Il y a madame qui a eu un cancer il y a deux ans et monsieur qui a fumé toute sa vie et qui a des bronchites chroniques. On n’aura donc pas de données sur cette population. À force de travailler avec ce produit, on va accumuler des données. »

C’est pourquoi une phase trois d’étude est nécessaire. Sans tester les personnes les plus à risques, on élargit l’éventail de population.

Une personne avec une bronchite chronique, par exemple, ne pourra pas participer au projet de recherche, car le but est de définir le vaccin dans la population générale. Cependant, cette personne sera prioritaire lorsque le vaccin sera approuvé. 

« Peut-être que le vaccin sera négatif chez des gens qui ont certains problèmes particuliers, analyse M. Gervais. On ne le sait pas. Mais on ne peut pas tout savoir en même temps. C’est comme une échelle, on monte un barreau à la fois. La première est la plus importante et c’est celle qu’on monte actuellement avec la population saine. Ensuite, on va redéfinir, redéfinir et redéfinir. » 

Donc le pari d’administrer un vaccin à une population donnée peut être pris. Mais le risque de prendre le vaccin n’est pas aussi grand que celui d’attraper la COVID-19.