Chronique|

Vaccins contre la COVID-19: faut-il avoir peur du syndrome Guillain-Barré?

SCIENCE AU QUOTIDIEN / «Ma fille a vécu un gros épisode du syndrome de Guillain-Barré (SGB) dans le passé. Les spécialistes ont mentionné la possibilité que celui-ci a pu apparaître suite à un vaccin contre la grippe. Après plusieurs années, elle a tenté une nouvelle vaccination contre la grippe, mais elle a recommencé à avoir des engourdissements qui ont duré environ 6 mois. C’est donc terminé pour elle, les vaccins contre la grippe ! Et vous comprendrez qu’elle et moi nous posons des questions au sujet des vaccins contre la COVID-19. Viennent-ils, eux aussi, avec un risque de SGB?», demande Francine Brousseau, de Québec.


Le syndrome de Guillain-Barré est une maladie neurologique rare, touchant entre 1 et 2 personnes par 100 000 à chaque année, mais qui peut être très sérieuse. Elle survient quand le système immunitaire se met, pour des raisons encore mal connues, à attaquer le «système nerveux périphérique» — ce qui comprend tous les neurones situés en dehors du cerveau et de la colonne vertébrale, lesquels forment ensemble le système nerveux dit «central». Cela cause des degrés variables de paralysie dans certaines parties du corps, allant du simple engourdissement à la paralysie complète en passant par une sensation de faiblesse.

La plupart du temps, les symptômes disparaissent d’eux-mêmes au bout de quelques jours à quelques semaines mais, dans certains cas, ils peuvent s’étirer sur plusieurs années. Et lorsque la paralysie touche des nerfs impliqués dans des fonctions vitales, comme ceux qui contrôlent la respiration, le SGB peut même devenir fatal — ce qui n’arrive heureusement pas souvent.

Maintenant, quand on entend parler de ce syndrome dans les médias, c’est habituellement pour faire un lien avec les vaccins, ce qui est un peu malheureux. Pas parce que ce lien est faux, disons-le : il existe bel et bien. En 1976, quand une nouvelle souche de grippe potentiellement pandémique est apparue, les États-Unis se sont tout de suite lancés dans un programme de vaccination mis sur pied à la hâte. Mais après que plusieurs millions de personnes eurent reçu l’injection, on s’est rendu compte que le vaccin causait le SGB au rythme de 1 cas par 100 000 doses, ce qui (avec le fait que la souche de grippe ne s’est pas propagée autant qu’on le craignait) a mené à l’interruption du programme.

Depuis, de nombreuses études ont été menées pour voir si les autres vaccins contre la grippe avaient le même genre d’effet. Elles n’ont pas toutes observé un lien significatif avec le SGB, mais dans l’ensemble il semble que les vaccins antigrippaux viennent avec un risque de développer ce syndrome de 1 à 2 cas par million de doses administrées, lit-on dans une revue de la littérature médicale parue en 2014 dans Clinical Infectious Diseases. Notons que c’est à peu près ce qui a été observé au Québec en 2009-2010 lors de la vaccination contre la grippe dite «A(H1N1)» : 2 cas par million, selon une étude parue en 2012 dans le Journal of the American Medical Association.

Or il n’y a pas que le vaccin contre la grippe qui cause le SGB. L’influenza, et c’est un point absolument fondamental ici, est elle-même connue pour provoquer le syndrome à un rythme d’environ 1 par 100 000 — donc 5 à 10 fois plus que le vaccin. Si bien qu’au final, le vaccin anti-influenza évite plus de SGB qu’il n’en provoque lui-même. À cet égard, une étude de la santé publique américaine parue en 2014 dans l’American Journal of Public Health a trouvé qu’en 2009-2010, il y avait moins de Guillain-Barré chez les gens vaccinés contre la grippe A(H1N1) (6,6 par millions) que chez ceux qui n’avaient pas reçu le vaccin (9,2 par million).

Bref : oui, les vaccins antigrippaux sont une cause connue de SGB, mais leur effet net est de réduire le risque total, si bien qu’il faut être extraordinairement malchanceux pour développer ce syndrome à cause de ces vaccins. Au point où même si je ne suis pas médecin, je vais quand même prescrire un billet de loterie à la fille de Mme Brousseau : s’il existe une telle chose que le karma (si…), alors elle est «due» pour gagner, comme on dit.

Cela dit, qu’en est-il des vaccins contre la COVID-19 ? Viennent-ils eux aussi avec un risque (infime, mais quand même) de Guillain-Barré ? Pour l’instant, rien ne permet de le croire. Il y a bien eu le directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases, Dr Anthony Fauci, qui a recommandé lors d’une entrevue à la télé que les gens ayant déjà eu des épisodes du SGB évitent ce vaccin afin de ne pas provoquer de «rechute». Mais sa sortie publique a provoqué une réaction assez fâchée de la part de cliniciens et chercheurs qui se spécialisent dans l’étude du Guillain-Barré — ce qui n’est pas le cas de Dr Fauci. «Jusqu’à maintenant, ont-il écrit dans une lettre ouverte datée du 21 décembre, aucun cas du SGB n’a été associé avec les vaccins contre la COVID-19. (…) À l’heure actuelle, il n’existe aucune raison pour que ceux qui ont eu des épisodes du SGB dans le passé n’aient pas le vaccin.»

Les auteurs de la lettre reconnaissent cependant qu’il n’y a pas encore eu suffisamment de personnes vaccinées pour que des effets secondaires aussi rares que le Guillain-Barré soient détectés. Une surveillance est exercée à cet égard, et il faudra donc attendre encore avant d’être sûr de quoi que ce soit. En attendant, ils recommandent aux gens comme la fille de Mme Brousseau de consulter leur médecin avant de se faire vacciner.

En outre, signalait un autre groupe d’experts à la mi-décembre dans la revue médicale Brain, même s’il s’avérait que les vaccins contre la COVID-19 provoquent de rares cas de SGB, cela ne voudrait pas forcément dire qu’on devrait les éviter. Il y a en effet fort à parier que les avantages du vaccin l’emporteraient encore largement sur les inconvénients. Mais bon, cela reste une «histoire à suivre» pour l’instant.

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Précision (10 janvier, 10h45) : une version antérieure de ce texte a été modifiée afin de corriger le titre de Dr Fauci qui, contrairement à ce qui était précédemment écrit, n'est pas directeur du CDC mais bien du NIAID. Toutes mes excuses.