Chronique|

Les 10 ans de la CAQ: le pari de l’opinion publique

Il y a 10 ans, François Legault et Charles Sirois lançaient la Coalition avenir Québec.

CHRONIQUE / Le premier acte de naissance de la Coalition avenir Québec est survenu le 21 février 2011, il y a 10 ans. Ce jour-là, François Legault et l’homme d’affaires Charles Sirois ont rendu public le «manifeste» de leur jeune mouvement, qui est devenu un parti politique neuf mois plus tard, en novembre.


Une des toutes premières priorités identifiées dans ce document était d’accroître les salaires des enseignants.

Sans trop se mouiller, François Legault disait par ailleurs que la langue française devait être le pilier de l’identité québécoise. Je souligne ces deux éléments, car ils demeurent d’actualité.

Plus largement, M. Legault expliquait qu’il était urgent de mettre de côté la «question nationale». Il constatait qu’elle se trouvait dans une impasse. 

François Legault est arrivé au bon endroit au bon moment avec sa nouvelle offre politique.

En 2011, la situation était figée sur la scène politique québécoise. Le gouvernement libéral de Jean Charest encaissait des taux d’insatisfaction de plus de 70 %. Le cynisme envers les responsables politiques québécois était profond.

La naissance de la CAQ a bénéficié d’un contexte, d’une conjoncture.

Partir pour mieux revenir

C’est en quelque sorte en quittant le Parti québécois que François Legault a commencé à préparer son retour. Ministre dans les gouvernements de Lucien Bouchard et de Bernard Landry et, par la suite, député sous André Boisclair et Pauline Marois, il a quitté le PQ en juin 2009.

«La fatigue, le cynisme et le fatalisme ne peuvent servir d’excuse pour accepter l’immobilisme et le déclin tranquille du Québec», déclarait-il alors.

S’il n’avait aucun plan précis en tournant le dos au PQ, il avait déjà une intention. «On se disait : si on veut revenir, si on veut faire ce qu’on veut faire, il vaut mieux se retirer», confiait en 2011 au Soleil Martin Koskinen, l’actuel chef de cabinet du premier ministre, qui était depuis longtemps déjà son alter ego.

Le chemin vers le pouvoir a été somme toute rapide. Mais il n’a pas été un long fleuve tranquille. Dans l’opposition, la CAQ a connu des hauts — des très hauts, même — dans les intentions de vote. Et des creux. De très profonds creux.

On s’ajuste!

À sa naissance, la CAQ a avalé l’ADQ. Elle a recentré ce qu’il restait de ce parti. Le «dégraissage» de l’État est passé à la trappe.

Le parti de François Legault s’est ajusté à l’opinion publique. En 2015, il s’est fait plus résolument nationaliste.

Il avait déjà entrepris de rivaliser avec le Parti québécois sur les questions identitaires — particulièrement sur le port de symboles de foi, mais en allant beaucoup moins loin que lui. Il y a ajouté la question de l’immigration.

L’équipage de la CAQ a toujours été hétéroclite. Il est composé de gens plus à droite, d’autres plus à gauche, d’indépendantistes et de fédéralistes. Il tient par la personnalité et le projet de son principal fondateur. À sa façon de parler aux citoyens aussi.

Cet équipage tient également parce qu’il dit et fait ce que bien des citoyens veulent entendre et voir. Au fond, il prend très peu de risque avec l’opinion publique.

Déjà, il y a 10 ans, le politologue Jean-Herman Guay estimait que François Legault représente quelque chose d’assez «consensuel».

«Il y a quelque chose de pragmatique chez lui», constatait M. Guay en ajoutant qu’il ne faisait évidemment pas l’unanimité, mais qu’il parvenait à rejoindre «monsieur et madame Tout-le-Monde».

Ce nez collé à l’opinion publique est l’une des grandes continuités de la CAQ depuis le lancement de son manifeste, il y a 10 ans. C’est une façon proprement caquiste de faire de la politique.

Un parti pris

La CAQ est le parti de l’opinion publique. Le concept est flou, certes. L’opinion publique est composée d’un mélange de base électorale et de la proverbiale «majorité silencieuse» (une expression tombée en désuétude). 

L’opinion publique, c’est le parti pris de la CAQ. Pour le meilleur et pour le pire.

Disant cela, je dois ajouter que ni François Legault ni son entourage ne suivraient l’opinion publique si celle-ci souhaitait l’emprunt de voies déraisonnables.

Il faut aussi constater que l’une des forces du chef caquiste est de parvenir à susciter une adhésion assez large à la plupart des mesures prises par son gouvernement; à canaliser l’opinion publique, justement.

Une mauvaise passe? On l’entendra faire vibrer la fibre nationale.

Le gouvernement a la chance de pouvoir présenter ses décisions comme «mesurées», situées au centre de celles voulues par le Parti québécois, par Québec solidaire et par le Parti libéral du Québec.

Pour le meilleur et pour le pire, la CAQ est mue par l’obsession de respecter ses engagements. Elle a vu le jour et a grandi dans un environnement où les partis qui manquaient à leurs engagements se faisaient charcuter par les médias et, par-delà, par l’opinion publique.

C’est en raison de ce tropisme en faveur de l’opinion publique qu’une interrogation revient régulièrement concernant M. Legault : et si les sondages indiquaient un jour que les Québécois étaient plus nombreux à souhaiter l’indépendance? Que ferait-il? Non pas dans ce mandat-ci, mais dans un autre.

La Coalition se buterait-elle contre un mur si un choix devenait inéluctable sur la «question nationale»?

«On verra», comme le disait François Legault il y a tout juste 10 ans.

De toute façon, on finit toujours par se buter contre des murs. En 2013, Bernard Landry avait noté que «les mécontents s’additionnent par le simple écoulement du temps».

Le temps ne s’écoule pas à la même vitesse pour tout le monde, mais on verra.