Chronique|

Legault en mode rattrapage

Le premier ministre Legault mise encore une fois sur la discipline de la population pour freiner la pandémie.

CHRONIQUE / Dans son point de presse, le premier ministre François Legault a parlé d’une course contre la montre. Pour expliquer la quantité élevée de nouveaux cas quotidiens de COVID-19, il pointe le trop grand nombre de rassemblements des dernières semaines, d’un relâchement dans les consignes sanitaires. C’est sûr que ça joue, mais il ne garde pas beaucoup de responsabilités entre ses mains pendant qu’il transfère ça sur les épaules de la population.


François Legault a beau s’être donné une bonne note dans ses bilans de fin d’année, considérant même n’avoir commis aucune erreur, il y a eu des lacunes et il continue d’en avoir. On n’en serait pas là en ce moment si tout allait bien ou s’il n’avait fait aucune erreur.

Même en se faisant croire que tout a bien été dans le réseau de la santé ou de l’éducation et que le seul problème est un relâchement de la population, il en aurait aussi la responsabilité. Ce serait le signe d’une mauvaise communication, d’une incapacité à rallier tout le monde, à convaincre la population, à motiver et à solidariser. Quand un groupe n’écoute pas son « chef », c’est qu’il y a un manque de leadership quelque part, ce n’est pas juste le groupe le problème.

Les craques dans les infrastructures

Leadership ou non, il y a eu des soucis. Encore récemment, des centaines de spécialistes ont insisté sur les problèmes de ventilation dans les écoles et autres lieux clos. Ça fait des semaines que Québec solidaire insiste là-dessus sans avoir de réponses claires, si ce n’est que minimiser ou nier la situation.

Le système de santé a encore des problèmes de main d’œuvre et d’équipements. Le personnel est épuisé. Les zones chaudes et froides ne sont pas si étanches que ça – parce qu’il manque de monde, en bonne partie.

Malgré tout ce qui s’est passé au printemps dernier, en regardant les éclosions de l’automne et de l’hiver dans les centres pour personnes âgées, publiques ou privées, et dans les centres de santé, on se demande à quel point le gouvernement a tiré des leçons et a su corriger les lacunes. Était-il vraiment prêt à la deuxième vague? Comptait-il seulement sur la discipline des gens?

C’est un peu facile de transférer la responsabilité que sur les épaules des Québécoises et des Québécois. La solidarité du premier ministre devrait aller au-delà de déclarer que lui aussi s’ennuie des soupers en famille. Les gens ont besoin de sentir que le gouvernement fait autant d’efforts et de sacrifices qu’il en demande.

L’effort individuel

Ceci dit, quand je lis des commentaires comme « gouvernement de corrompus » en réaction à l’annonce du couvre-feu, je me demande bien quel genre d’organisation gagnerait à empêcher les gens de sortir entre 20h et 5h du matin. Pour corrompre, il faut un gain quelque part et cette mesure dérange tout le monde!

Le docteur Arruda n’a peut-être pas réussi à nommer une étude pour appuyer scientifiquement le couvre-feu, mais on peut comprendre le principe de diminuer les probabilités de rencontres sociales. Ça ne peut pas nuire, du moins pour la propagation virus. Pour la santé mentale, c’est peut-être autre chose.

Bonne nouvelle pour les personnes qui ont un pitou : vous pourrez quand même sortir à moins d’un kilomètre de votre demeure pour ses besoins. Ça vous fait une excuse facile pour sortir un peu en soirée.

J’ai trouvé que le premier ministre a pris à la légère la réalité de plusieurs personnes en suggérant de prendre la marche avant 20h et de travailler plus tard en soirée à la place. C’est facile à dire, mais moins évident à faire quand tu dois gérer les enfants avant 20h. Ça banalise aussi le problème de la déconnexion du travail d’encourager les gens à travailler en soirée comme ça. C’est pourtant une des sources de la détresse de plusieurs personnes en télétravail.

Est-ce une mesure liberticide pour autant comme j’ai pu lire ou entendre ici et là? Pas tant plus que le confinement selon moi. Contraignante, aucun doute. Sauf que nous ne sommes pas dans un contexte normal. Je ne sais pas si ça sera efficace, mais devant la situation actuelle, ça vaut la peine d’essayer.

C’est présenté comme le gros morceau et c’est la nouvelle consigne qui va demander le plus d’énergie et de compromis à la population, individuellement, mais le plus gros enjeu n’est pas là. Le plus gros problème, c’est l’ensemble des faiblesses de nos infrastructures. C’est par là que le virus fait des ravages.

Personnellement, c’est ça qui me dérange. Comme la majorité de la population, je suis prêt à faire les efforts individuels pour freiner la pandémie, et je les fais, mais la stratégie ne peut pas reposer que sur ça. Je voudrais avoir l’impression que le gouvernement corrige ses torts, que le gouvernement améliore ses infrastructures, investisse massivement pour que les sacrifices demandés ne soient pas en vain, que les Québécoises et les Québécois soient soutenus dans leurs efforts. Ce n’est pas vrai que les services en santé mentale sont plus accessibles. Ce n’est pas vrai que le gouvernement a réellement fait tous les efforts pour recruter du personnel en santé ou en éducation. Le gouvernement bouche les trous avec du duct tape en croisant les doigts que ça tienne.

On écope du manque d’investissements en santé et en éducation des dernières années, des dernières décennies. Si on manque d’infirmières et d’enseignantes, c’est que les milieux de travail sont devenus difficiles, ingrats. Si les systèmes de ventilation ne sont pas efficaces, c’est qu’on a cessé d’entretenir nos écoles. Si les personnes âgées sont parfois dans de si mauvais établissements, c’est parce qu’on les a abandonnées. Chaque baisse d’impôts et chaque compression depuis Lucien Bouchard nous ont menés à l’endroit où nous sommes en ce moment.

Je vais respecter le couvre-feu, comme j’ai respecté les autres consignes, mais j’espère profondément qu’on va se souvenir des vraies raisons de la situation actuelle une fois la pandémie passée.