Chronique|

Quand l’alcool cache la masculinité toxique

En parlant d'erreur plutôt que de problèmes de comportement, on banalise la gravité des agressions sexuelles.

CHRONIQUE / On peut dire que l’humoriste a réussi son coup de comm. Tous les grands médias ont parlé de sa publication Facebook qui a « brisé le silence » six mois après les témoignages de neuf victimes d’agressions ou d’inconduites sexuelles sur une dizaine années. Sa sortie a davantage démontré l’ampleur de la culture du viol que le cheminement d’un repenti.


Les milliers de commentaires sous sa publication vont d’invitations assez fermes et plus ou moins polies à continuer de garder le silence à des souhaits d’un prochain retour sur scène.

Je crois profondément au pardon et à la réhabilitation, là n’est pas la question, même s’il y a bien un débat sur le temps que peut prendre ce processus. Toutefois, dans le cas de vedettes, une partie du public place les agresseurs en victimes et c’est là qu’il y a un problème. C’est en partie ce qu’on voit avec Julien Lacroix, mais aussi avec Éric Salvail, Maripier Morin, Gilbert Rozon ou Éric Lapointe.

Pour pardonner, encore faut-il assumer ses actes, les comprendre, les digérer, se repentir, etc. Des étapes souvent ignorées lorsque des personnalités publiques sont le problème.

On dit souvent que le public leur pardonne tout, mais j’irais plus loin, une partie du public refuse même de leur reprocher quelque chose. Ce n’est pas un pardon, c’est un aveuglement, un déni. Pas besoin de plaider pour donner une deuxième chance, presque toutes les vedettes accusées de viol ou d’agression l’ont, leur deuxième chance.

Malheureusement, cette attitude force les victimes à souffrir en silence et permet aux agresseurs de faire de nouvelles victimes.

« Tout le monde a droit à l’erreur », peut-on lire. Ce n’est pas une erreur, c’est un problème de comportement. Une erreur, c’est un mauvais jugement qui arrive une fois. Ici, on parle d’un comportement répété et répété sur plusieurs années sur plusieurs femmes.

Tant qu’on va réduire les agressions sexuelles et le harcèlement à des « erreurs » et non à des problèmes comportementaux et à des problèmes culturels, une femme sur trois continuera d’être victime d’agression sexuelle.

Les hommes aussi sont victimes d’agressions sexuelles, un homme sur six, mais même en incluant ces cas dans les statistiques, 9 fois sur 10, l’agresseur est un homme. Les hommes se font agresser par des hommes. Ça démontre bien que c’est un problème de société, qu’il y a certaines valeurs ou comportements masculins qui sont nocifs.

Dans son statut, l’humoriste tente d’expliquer ses comportements avec ses problèmes d’alcool et de drogue. Il espère qu’on pourra un jour parler des ravages de l’alcool et de la drogue dans notre société – comme si on ne le faisait pas déjà. Sauf que ramener ça à l’alcool évite de parler du vrai tabou : la masculinité toxique.

Petit scoop : les agressions sexuelles ont aussi lieu à jeun.

Évidemment que l’alcool ou les narcotiques peuvent aggraver des problèmes de comportement, mais voilà, il les empire, il ne les crée pas de nulle part. Ce n’est pas vrai que tous les alcooliques sont des agresseurs sexuels. Comme tous les agresseurs ne sont pas des toxicomanes. Ce sont deux problèmes qui peuvent cohabiter, mais régler l’un ne règle pas l’autre comme par magie.

L'alcool ne crée pas les salauds

Trop souvent on met sur le dos de l’alcool une inconduite sexuelle. « J’étais saoul, je ne savais pas ce que je faisais. » L’alcool enlève une certaine inhibition et peut mêler les perceptions, mais l’alcool ne crée pas les salauds. Les bonnes personnes ne deviennent pas des pourritures après quelques verres. Si une personne devient toxique avec l’alcool, c’est juste que l’alcool fait tomber le masque. J’ai côtoyé assez d’alcooliques dans ma vie pour savoir que le problème comportemental ne vient pas de l’alcool, il est révélé par l’alcool.

L’humoriste dit qu’il faut aller à la source du problème pour trouver des solutions. Sauf que la source des agressions sexuelles et des inconduites n’est pas l’alcoolisme ou la toxicomanie. Je ne dis pas que ces problèmes n’existent pas, je dis qu’ils s’ajoutent à l’autre trouble comportemental.

La source, pour reprendre ses mots, est une façon malsaine de concevoir les rôles féminins et masculins dans les relations sociales, amoureuses et sexuelles, de prétendre que les femmes doivent quelque chose aux hommes, de croire qu’on peut imposer ses désirs aux autres.

Ce n’est pas une erreur, ce n’est pas une dérape après un party, c’est une attitude et un problème comportemental qui ont banalisé pendant une dizaine d’années le viol, le harcèlement, la violence physique, l’abus.

Parmi les commentaires, on peut lire qu’il n’est jamais trop tard pour changer et s’améliorer. Tout à fait! J’espère! On passe même notre vie à s’améliorer et à apprendre. On ne peut qu’espérer qu’il soit mieux entouré pour comprendre ses problèmes de comportements qu’il ne l’est pour ses communications.

Je cite Rosalie Vaillancourt, qui a réagi à la sortie de l’humoriste et qui avait contribué aux allégations l’été dernier : « J’ai dénoncé un ami, pas pour dénoncer un acte isolé dont j’ai été témoin, mais dans l’espoir de voir un changement de culture. »

Arrêtons de banaliser la culture du viol. Ça fait trop mal.