Chronique|

Saluer un être humain

Les bénévoles de la Soupe populaire de Hull préparent et servent 300 repas par jour aux plus démunis.

CHRONIQUE / La pauvreté à Gatineau?


«Sur le terrain, on perçoit une urgence d’agir», me dit le directeur général de la Soupe populaire de Hull, Michel Kasongo.

«La pandémie a mis en évidence la faiblesse de notre ruban de services en Outaouais, mais plus particulièrement ici, à Gatineau», insiste-t-il.

Il est bien placé pour en parler. Son organisme prépare et sert 300 repas par jour aux plus démunis. Des repas livrés désormais à domicile puisque la Soupe populaire a dû fermer sa salle communautaire en raison des consignes sanitaires.

«On dessert les familles qui vivent dans les maisons de chambre. Il y en a beaucoup dans l’île de Hull. Ils ont besoin de repas, mais n’ont malheureusement pas tous les moyens nécessaires pour se cuisiner un repas chaud.»

«Nous cuisinons également une partie de la nourriture pour la soixantaine de personnes qui couchent à l’aréna Guertin. On a des assiettes qui sortent tous les midis et tous les soirs…»

Les bénévoles livrent aussi des repas… carrément à la rue. Malgré le froid mordant des derniers jours, des citoyens dorment encore dehors, raconte Michel Kasongo.

Pas à dire, cette pandémie fait ressortir les faiblesses de notre réseau de la santé en Outaouais. Le maire Maxime Pedneaud-Jobin a bien résumé la situation, mardi, en déclarant que la région paie le prix de décennies de négligence. Ces problèmes qu’on a si longtemps ignorés ou cachés, ils nous rebondissent en pleine face. Particulièrement en santé mentale, précise Michel Kasongo.

«J’ai rencontré, il n’y a pas très longtemps, un monsieur qui vit dans une coopérative. Il est venu chez nous chercher un repas. Il m’a dit: monsieur, je viens ici malgré mon âge. C’est que je suis tanné d’être isolé. Je vis seul dans mon appartement. Je n’ai plus de famille. Plus de contacts avec mes enfants. Je suis venu chercher de la nourriture. Ça me permet, par la même occasion, de dire bonjour à quelqu’un. De saluer un être humain…»

Pause au bout du fil.

La Soupe populaire de Hull a déménagé dans les locaux des Braves du Coins.

«Donc il y a des situations comme celle-là, reprend M. Kasongo. Chaque semaine, notre équipe d’intervention documente ces enjeux. C’est alarmant, ça n’a pas de bon sens! De temps à autre, lors de nos rencontres avec la Ville de Gatineau et le CISSSO, on les met au courant. Pour voir comment on peut travailler ensemble afin de bonifier les services à la population.»

Les services à la population, M. Kasongo? On nous dit sans cesse que les services existent, que depuis l’élection de la CAQ, le gouvernement a réinvesti…

M. Kasongo réfléchit un moment.

«Au Québec, dit-il, il y avait deux inspecteurs dans toute la province pour faire respecter la Charte de la langue française au sein des entreprises. Avec la CAQ, on est rendu à 50 inspecteurs. On ne peut pas dire que les services n’existaient pas. Ils existaient! Il reste qu’on n’accomplit par les mêmes choses à deux personnes qu’à 50 personnes…»

Ainsi en va-t-il de la pauvreté, poursuit-il. Il faut une augmentation suffisante des ressources pour faire face aux besoins croissants.

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Heureusement, il y a l’entraide.

Voilà des années que la Soupe populaire veut rénover sa cuisine du centre Yolande-Duval. Un projet sans cesse retardé. C’est que le chantier implique de fermer la cuisine pendant trois semaines…

Or voilà que la pandémie offre une occasion inespérée. Les Braves du Coin, un organisme voisin, a accepté de prêter son local jusqu’au 1er décembre. La Soupe populaire y a donc déménagé ses marmites. Et c’est de là que les bénévoles préparent les repas depuis quelques jours.

«La décision d’offrir notre local n’a pas été difficile à prendre, dit Alain Pilon des Braves. De toute manière, nous sommes fermés depuis le passage en zone rouge. Et notre mission est de favoriser l’entraide.»

Michel Kasongo salue le geste. «De voir les Braves du Coin nous accueillir ainsi, avec une population qui n’est pas toujours bien accueillie, c’est un message clair à la population. Un message de solidarité…»