Chronique|

Fort occupée, fort confinée

La Dre Marie-Josée Godi est directrice de la Santé publique en Mauricie et au Centre-du-Québec.

CHRONIQUE / Même si elle ne l’a pas vu depuis des mois, Marie-Josée Godi ne croit pas qu’elle pourra voir son fils durant le temps des Fêtes. La directrice de la Santé publique en Mauricie et au Centre-du-Québec doit évidemment coordonner le début de la campagne de vaccination. Mais en dehors du travail, elle prend aussi soin de sa mère âgée, qui vit avec elle. Pas question de mettre à risque cette maman qui fait partie des clientèles vulnérables.


Son fils de 19 ans devra donc encore patienter. Comme bien des gens patientent depuis des semaines, des mois, pour avoir enfin le droit de se réunir et de serrer leurs proches dans leurs bras. Autrement dit, on a beau être à la tête de la Santé publique, on ne bénéficie d’aucun privilège en cette période de pandémie.

«On sait qu’on prend des décisions qui vont venir restreindre beaucoup de choses. Ça joue sur la vie des gens et on le fait dans un souci de bienveillance. Même si ce sont des décisions impopulaires. Et moi aussi, comme directrice de Santé publique, je vis avec les conséquences de mes décisions. Je ne peux pas avoir certaines activités, aller au restaurant et socialiser Les décisions que je prends m’impactent comme individu, ma famille aussi. Ça touche tout le monde. On essaie de passer au travers en se disant qu’on est au bout du tunnel dans quelques mois et qu’il faut continuer de se serrer les coudes», confie-t-elle.

Lorsqu’elle a été nommée directrice de Santé publique en Mauricie et Centre-du-Québec, en 2017, Marie-Josée Godi était loin de se douter qu’elle signerait pour «ça» trois ans plus tard. Les actions en Santé publique pré-pandémie étaient bien souvent dans l’ombre du reste du système de santé, étant des actions préventives ou de promotion des saines habitudes de vie dans divers domaines, mais aussi les maladies infectieuses, le vapotage, les ITSS, la santé mentale... bref un paquet de domaines qui touchent la santé globale d’un individu.

Et généralement, si le travail de prévention de la Santé publique est bien fait, on n’en entendra juste pas parler. C’est là tout le mérite d’une prévention réussie.

Mais lorsqu’une pandémie mondiale frappe, ce joueur qu’est la Santé publique est propulsé à l’avant-scène du jour au lendemain, avec tous les défis que ça comporte.

«Je ne pensais pas que j’aurais à gérer une crise de cette ampleur. C’est un gros défi à relever. Je crois que je me sens bien là-dedans malgré tout ce que ça comporte comme enjeux cruciaux de décisions à prendre», confie-t-elle, disant avoir pu compter sur une équipe dévouée avec qui elle oeuvrait depuis 2013, moment de son arrivée en Mauricie et Centre-du-Québec.

Originaire de la Côte-d’Ivoire, Marie-Josée Godi a vite réalisé après ses études que les perspectives d’emploi dans le domaine qu’elle chérissait, celui de la médecine de santé publique préventive, avait de meilleures perspectives d’emploi au Québec, où elle a fait sa résidence en médecine préventive, qu’à Abidjan. Issue d’une famille de neuf enfants, un frère et une soeur l’ont imitée en immigrant au Canada, de même que sa mère qui partage son quotidien.

Plutôt réservée de nature, Mme Godi a également dû composer avec une certaine notoriété publique, qui vient forcément avec la visibilité accrue dans les médias depuis le début de la pandémie. Elle dit d’ailleurs avoir été surprise, au détour de quelques emplette, de se faire reconnaître dans les allées de l’épicerie, à la banque ou même au garage, quand elle a voulu faire changer ses pneus d’été pour ceux d’hiver. L’employé, qui l’a reconnue derrière son masque, s’est empressé de lui montrer toutes les mesures sanitaires qui avaient été mises en place afin de respecter les règles de santé publique. Pourtant, elle ne voulait que faire changer ses pneus, indique-t-elle en éclatant de rire.

Ces anecdotes loufoques, toutefois, ne peuvent effacer les moments où elle a eu à prendre les décisions les plus difficiles de sa carrière. Elle pense évidemment au passage en zone rouge, cet automne. Mais la décision de devoir envoyer au CHSLD Laflèche des employés de la santé qui avaient été identifiés comme contacts étroits avec une personne atteinte du coronavirus fut probablement la plus difficile. Malgré tous les équipements de protection, ces employés, qui se sont plus tard avérés asymptomatiques, auront été bien malgré eux partie prenante de la première grande éclosion de la région.

Mais il fallait choisir entre le risque de faire entrer une personne contaminée et le risque de faire face à un bris de service, que ces patients soient laissés à eux-mêmes, sans soins.

«À ce moment on ne savait pas que le virus se transmettait par les personnes asymptomatiques, et ces personnes avaient quand même des équipements de protection. Mais humainement, ça a été une décision qui était difficile. Je salue le dévouement de ces équipes qui, dans ce contexte, sont revenues prendre soin des usagers et qui avaient le souci de ne pas les abandonner», signale-t-elle.

À tout moment, quand elle sent qu’elle doit justifier une action ou une autre, elle rappellera qu’au printemps, toutes les décisions avaient été prise en fonction des informations que l’on avait à ce moment. La connaissance sur le coronavirus a évolué en neuf mois, les mesures de protection également.

De bons coups ont aussi marqué cette année mouvementée pour elle. La gestion de la première éclosion chez Olymel, même si elle a infecté 120 personnes sur les quelques mille employés, a été citée en exemple. «De pareils cas, dans des industries, ont aussi été vécus aux Etats-Unis ou en Allemagne. C’est d’ailleurs ce qui est à l’origine de la deuxième vague en Allemagne», rappelle Mme Godi. «Ici, on l’a quand même bien géré», considère-t-elle.

Le fait d’avoir réussi à maintenir les écoles ouvertes durant tout l’automne, malgré certaines éclosions, constitue également pour elle une belle victoire. L’implantation du logiciel «Contagion», une innovation locale permettant une meilleure gestion des éclosion, en est une autre.

Mais c’est maintenant l’arrivée progressive de vaccins qui constitue le prochain défi, elle qui voit en cette opération débutée mardi matin le début de la fin tant attendue. «La fin sera peut-être à l’automne prochain ou en 2022, mais c’est déjà une lumière au bout du tunnel, car notre objectif est de protéger les personnes vulnérables. Ces personnes seront vaccinées et ça va permettre d’avoir des mesures qui sont moins restrictives et alléger le quotidien de chacun», indique-t-elle.

Et bien qu’elle soit à la tête de la Santé publique et imputable de toutes les décisions importantes prises sur le territoire, Marie-Josée Godi attendra son tour pour être vaccinée. Elle ne fait pas, à son avis, partie des clientèles prioritaires et préfère garder les précieuses doses pour les travailleurs en contact direct avec les personnes vulnérables. Elle continuera d’assurer une vigilance accrue en portant le masque, en gardant ses distances et en limitant ses activités quotidiennes à trois occupations essentielles: boulot, épicerie, dodo!

«Je suis très loin dans les rangs de priorité. J’attendrai mon tour, comme les personnes de mon groupe. Par contre, si ma mère est vaccinée, mon fils pourra venir plus souvent à la maison».