L’année d’Alain Poirier : entre enquêtes, vaccins et rétablissement

Le Dr Alain Poirier est directeur de la Santé publique de l’Estrie.

Le Dr Alain Poirier n’a pas vu l’année 2020 filer. Il a beaucoup travaillé, il a eu peu de congés. Il a pris une semaine de vacances en août. Il est revenu alors que son équipe gérait un premier agrégat, celui du quartier Ascot à Sherbrooke. Après cinq jours, le Dr Poirier ne se rappelait à peu près plus de ses quelques journées de vacances passées « pas très loin du téléphone ».


Comment le directeur de la Santé publique de l’Estrie résumerait-il l’année 2020, celle que personne n’aurait pu imaginer aussi intense et aussi? Le Dr Poirier garde le silence quelques instants. « Il y a eu tellement de choses, mais en même temps, il n’y en avait qu’une seule. La COVID était au cœur de tout », résume-t-il. 

Le Dr Alain Poirier a piloté la pandémie de grippe A (H1N1) au Québec en 2009 à titre de directeur national de la santé publique du Québec. « La pandémie de COVID-19 me rappelle celle de la A (H1N1) en ce sens où tout le monde est focussé là-dessus. Tout le monde va dans la même direction », explique celui qui avait accepté un intérim d’un an à la direction de Santé publique de l’Estrie en septembre 2019, loin de se douter de ce qui l’attendait.

« Nous, en santé publique, nous sommes habitués d’être dans l’ombre. On n’est pas intéressants généralement; ça ne saigne pas, il n’y a pas de crises. Mais en 2020, tout le monde s’est tourné vers nous », dit-il.

Et pour cause. Ce nouveau type de coronavirus est « insidieux, salaud, dégueulasse… Quand il rentre dans une communauté où il y a beaucoup de personnes vulnérables, il fait beaucoup de ravages », déplore le Dr Poirier.

Un premier cas le 11 mars

C’est le 11 mars dernier qu’un premier Estrien a été diagnostiqué positif à la COVID-19. Au Québec, comme ailleurs dans le monde, on savait encore très peu de choses sur ce virus. Qui touchait-il? Qui développait les complications? Qui allait garder des séquelles? Comment ce tout nouveau coronavirus se transmettait-il? Les personnes asymptomatiques étaient-elles contagieuses? Tant de questions, si peu de réponses.

Très vite, l’Estrie a été happée par des voyageurs infectés revenant de vacances en Europe durant la semaine de relâche. Pendant quelques jours, l’Estrie a même trôné au sommet des régions québécoises touchées par le virus. Presque aussi rapidement, les Estriens ont découvert la signification de plusieurs nouveaux mots comme « agrégats », « éclosions », « coronavirus », « tests de dépistage », « COVID-19 », « proches aidants », « réseaux locaux de services », « zone chaude ou froide », « transmission communautaire »…

Le personnel de la Santé publique s’est très vite retrouvé débordé. Les longues enquêtes se faisaient encore à la mitaine, dans des rapports papier beaucoup trop volumineux, pendant qu’au ministère de la Santé et des Services sociaux, on courait pour tenter de créer en quelques semaines des outils informatiques qu’on n’avait jamais pris la peine de développer avant que le feu soit pris, presque littéralement.

« Dans l’urgence de faire nos enquêtes épidémiologiques, nous avons rapatrié des gens de partout au CIUSSS de l’Estrie-CHUS pour venir nous aider », se rappelle le Dr Poirier.

L’ennemi s’infiltre

Et c’est ainsi que l’ennemi invisible s’est invité dans l’équipe de Santé publique chargée d’enrayer la transmission du si contagieux coronavirus.

Infectée dans son milieu de travail d’origine, une recrue de la Santé publique a contribué bien malgré elle à transmettre le virus à ses collègues. Jour après jour, les employés de la Santé publique sont tombés malades.

« Ç’a été dur de voir toutes ces personnes tomber malades. Soixante-deux employés de la Santé publique ont été contaminés finalement! À ce moment-là, très peu de gens dans le réseau étaient en mesure de faire du télétravail. Mais depuis, il n’y a presque plus personne dans les bureaux de la Santé publique. Moi-même j’habite un appartement près du Complexe Saint-Vincent, mais je n’y vais presque jamais. Mon bureau, c’est mon ordinateur et mon téléphone. C’est d’ailleurs un des grands changements de 2020 : la vie professionnelle de beaucoup de gens a été complètement bousculée », soutient-il.

« J’ai beaucoup d’admiration d’ailleurs pour tous ceux qui ont vécu cette situation. Moi je n’ai pas manqué de travail. Mais cette pandémie a été difficile pour beaucoup de gens », soutient le Dr Poirier.

L’année 2020 s’achève enfin. Mais que réservera 2021 aux Estriens? « 2021 sera l’année de la vaccination. »

L’équipe de la Santé publique de l’Estrie a pratiquement déserté les locaux du Complexe Saint-Vincent aujourd’hui; toute l’équipe travaille maintenant à distance.

Pas de vacances des fêtes

Et le rétablissement de la population? Ce sujet est important à la Direction de la santé publique de l’Estrie qui a connu la tragédie de Lac-Mégantic. Cette équipe a alors travaillé d’arrache-pied pour aider toute la population méganticoise à se remettre sur pied. L’ancienne directrice de la Santé publique de l’Estrie, la Dre Mélissa Généreux, a d’ailleurs été nommée conseillère pour le déploiement de l’organisation pour tout le Québec d’équipes d’éclaireurs en santé mentale pour le ministère de la Santé et des Services sociaux. Les équipes d’éclaireurs ont été inventées en Estrie et testées (avec un grand succès) à Lac-Mégantic où on les appelle plutôt les « équipes de proximité ».

Le Dr Poirier a aussi hâte que son équipe bascule en mode rétablissement. Le travail sera important. Il pourrait durer longtemps.

Or depuis la fin octobre, les cas positifs se sont multipliés en Estrie – près d’une centaine de nouveaux cas par jour.

« La vérité en ce moment, c’est que 95 % de notre travail est sur le virus », s’attriste-t-il.

Le Dr Poirier sera donc au travail durant la période des Fêtes. Pas question pour lui de prendre des vacances puisque le virus n’en prendra pas non plus. Son épouse est médecin et travaille beaucoup, elle aussi.

« Ça me va de travailler. Je n’ai plus d’enfants à la maison à m’occuper. Aujourd’hui, j’ai juste le plaisir d’avoir des petits-enfants », mentionne-t-il avec sa bonne humeur habituelle.