Ces pionniers québécois du championnat de la NFL

Charlie O’Rourke sur la Une du <em>Boston Globe Sunday</em> en 1941.

Tout le monde connaît Laurent Duvernay-Tardif, qui a remporté le Super Bowl l’an dernier avec les Chiefs de Kansas City. Antony Auclair s’ajoutera aujourd’hui à lui comme l’un des rares Québécois à avoir pris part à la finale de la NFL depuis 25 ans avec Jean-Philippe Darche, Deitan Dubuc, David Foucault, Samuel Giguère et Tom Nutten. Le Soleil vous présente aujourd’hui Charlie O’Rourke et Paul Duhart, les deux premiers footballeurs nés au Québec à avoir pris part au championnat de la NFL avant que celui-ci ne porte le nom de Super Bowl.


Charlie O’Rourke parlait peu de la guerre et de sa finale de la NFL. Premier Québécois à participer à une finale de la NFL, le footballeur ne parlait que très peu de la défaite de 14 à 6 des Bears de Chicago contre les Redskins de Washington en 1942. Tout comme il parlait peu de la Deuxième Guerre mondiale à laquelle il a pris part après cette saison.

«Mon père ne parlait jamais de ce match de championnat auquel il avait participé avec les Bears», déclare Patrick O’Rourke, fils de l’ancien athlète décédé en l’an 2000 à l’âge de 82 ans, en entrevue téléphonique avec Le Soleil. Il faut dire que les Bears visaient alors un troisième titre d’affilée et étaient donnés favoris par trois touchés avant de subir cette défaite surprise aux mains des négligés Redskins.

Mon père ne parlait jamais de ce match de championnat auquel il avait participé avec les Bears.

Né à Montréal en 1917, Charlie O’Rourke avait vu son père canadien décéder dans la pandémie de grippe espagnole de 1918. Sa mère américaine était ensuite rentrée aux États-Unis avec la famille alors que Charlie n’avait que deux ans. S’étant mis au football, il est devenu l’un des premiers quarts-arrières vedettes des Eagles de Boston College. En trois saisons, il a complété 69 passes sur 150 pour 1 108 verges et 14 touchés avant de signer un contrat avec les Bears en 1942. Surnommé «la triple menace», il était tantôt utilisé comme quart-arrière, tantôt comme porteur de ballon et tantôt comme botteur.

Dans la marine

«Après la défaite des Bears en finale, mon père s’est joint à la marine américaine pour servir durant la Deuxième Guerre mondiale. Le fait qu’il soit né au Canada a compliqué les choses, car il a fallu faire plusieurs vérifications pour s’assurer qu’il était citoyen américain. Je me rappelle qu’une situation semblable était aussi arrivée plus tard quand nous sommes passés aux douanes américaines après une visite à Montréal», raconte Patrick O’Rourke.

Son père n’était pas très loquace non plus au sujet de sa participation au conflit mondial. «Il était basé en Europe et travaillait dans le domaine des communications. La seule chose qu’il m’ait jamais dite à propos de la guerre, c’est qu’un jour, au petit matin, il avait reçu le message que la guerre était terminée. Il m’a dit qu’il s’était alors dit: "Je crois que je suis mieux de le dire à mon commandant!"»

Charlie O’Rourke est devenu l’un des premiers quarts-arrières vedettes des Eagles de Boston College. Il a ensuite signé un contrat avec les Bears de Chicago en 1942.

Après la guerre, Charlie O’Rourke avait encore envie de tâter du ballon ovale, mais le propriétaire et fondateur des Bears, George Halas, lui avait refusé une augmentation de salaire. «Il lui avait dit qu’il devait jouer pour le même salaire puisqu’il avait un contrat et qu’il devait le respecter. Mon père s’est rappelé que l’une des clauses du contrat que Halas lui avait fait signer indiquait que le contrat devenait nul si le joueur décidait de servir dans l’armée. Il a donc dit à Halas: «Non, je ne suis pas sous contrat! Tu te rappelles la clause?», raconte le fils.

De joueur à entraîneur

C’est donc avec les Dons de Los Angeles, puis les Colts de Baltimore de l’All-America Football Conference, une ligue rivale de la NFL, que O’Rourke a poursuivi sa carrière jusqu’en 1949. «Un jour, mon père me racontait qu’il était arrivé sur le terrain et avait vu un jeune joueur lancer le ballon 60 pieds dans les airs. Il s’est alors dit que c’était pour lui le temps de prendre sa retraite. Le joueur en question, c’était le futur quart des 49ers de San Francisco et des Giants de New York Y.A. Tittle, maintenant membre du Temple de la renommée du football», indique Patrick O’Rourke.

Après sa carrière de joueur, Charlie O’Rourke est devenu entraîneur adjoint avec l’équipe du Collège Holy Cross, puis entraîneur-chef des Redmen de l’Université du Massachusetts à Amherst, maintenant une fiche de 21-39-4 en huit saisons avant de quitter le football pour de bon. «Il est devenu gérant des locaux du Syndicat des pompiers de Boston jusqu’à sa retraite à l’âge de 65 ans. Il a vécu une belle et longue vie avec ma mère, qui elle même est décédée à 95 ans», raconte Patrick O’Rourke, qui avoue ne pas avoir hérité des gènes sportifs de son paternel. «Par contre, mon frère Charles Jr. a joué au basketball pour l’Université du Massachusetts», précise-t-il cependant.

Charlie O’Rourke est né à Montréal en 1917. Il est déménagé aux États-Unis à l'âge de deux ans, puis s'est enrôlé dans l'armée américaine lors de la Seconde Guerre mondiale.

Quant au nom de Charlie O’Rourke, il demeure gravé dans l’histoire puisqu’il a été donné au trophée qui récompense depuis 2008 le gagnant du match annuel entre les Eagles de Boston College et les Tigers de l’Université Clemson. Le trophée O’Rourke-McFadden a été créé afin de souligner l’affrontement épique entre O’Rourke et Banks McFadden, célèbre athlète qui s’est distingué au football, au basketball et en athlétisme, lors de l’affrontement entre Clemson et Boston College au Cotton Bowl de 1940.

CHAMPION DE LA NFL AVANT D'ÊTRE REPÊCHÉ!

En plus d’être le premier Québécois à remporter un championnat de la NFL, Paul Duhart pouvait aussi inscrire un autre exploit dans son curriculum vitae. Peu de joueurs de football peuvent en effet se vanter d’avoir été repêchés dans la NFL après y avoir remporté le championnat!

Porteur de ballon, quart-arrière et demi défensif, Duhart est né à Montréal de parents francophones en 1920, mais sa famille est plus tard  déménagée à Worcester, au Massachusetts, où il est devenu la vedette de l’équipe de football de son école secondaire. Il s’est ensuite joint aux Gators de l’Université de Floride en 1942 pour ensuite s‘enrôler dans l’armée américaine en 1943.

Après avoir obtenu sa décharge des forces armées en 1944, Duhart a obtenu de la NFL une permission spéciale de ratifier un contrat avec les Packers de Green Bay parce que son équipe universitaire s’était dissoute la saison précédente, ce qui l’avait empêché de se rendre disponible au repêchage de la NFL cette année-là.

Champion de la NFL

Champions de la division ouest avec une fiche de 8-2, les Packers ont poursuivi leur route jusqu’au match de championnat de la NFL alors que Duhart partageait le travail de quart avec Irv Comp et Lou Brock. En finale contre les Giants de New York, les Packers se sont imposés par la marque de 14 à 7 et Duhart s’est distingué en interceptant à la toute dernière minute une passe désespérée du quart des Giants Arnie Herber pour assurer la victoire des siens.

Cependant, avant la saison 1945, la NFL a déterminé que Duhart devrait finalement se soumettre au repêchage même s’il avait déjà disputé une saison complète dans la ligue. Choisi par les Steelers de Pittsburgh en première ronde, il en fut la seconde sélection derrière le porteur de ballon Charley Trippi, maintenant membre des Temples de la renommée du football collégial et du football professionnel, et quelques rangs devant un autre immortel, le receveur de passes des Rams de Los Angeles Elroy «Crazy Legs» Hirsch.

Professeur et entraîneur

Malheureusement, les blessures ont mis fin à la carrière de Duhart au terme de cette seconde saison partagée entre les Steelers et les Yanks de Boston. Selon sa biographie publiée sur la page web du Temple de la renommée des entraîneurs du Arcadia High School, où il a été admis en 1998, Duhart est ensuite retourné aux études pour compléter des baccalauréats en anglais et en histoire à Boston College. 

Parlant français couramment, il a ensuite enseigné la langue de Molière et l’histoire en plus de devenir directeur des sports du Arcadia High School, un établissement d’enseignement secondaire californien dont il a aussi dirigé l’équipe de football de 1960 à 1969.

Sous sa férule, les Apaches d’Arcadia ont connu une saison sans défaite en 1961, remportant le championnat de la Ligue du Pacifique et poursuivant une séquence de 30 victoires consécutives. Duhart a aussi entraîné l’équipe de golf masculine et l’équipe féminine de tennis d’Arcadia, menant cette dernière en grande finale en 1992. Après sa retraite, il a aussi publié quelques recueils de poésie avant son décès, en 2006, à l’âge de 85 ans à son domicile de Huntington Beach. Ian Bussières